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💸 Le Trésor le plus détesté de France

Pouvoir, contrôle et impôts.

Le 17/06/2025

par 

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Ce que vous allez apprendre dans cet article

💰 L'histoire du Trésor public français, de ses origines médiévales à son rôle central dans l'économie d'aujourd'hui. 🏛️ Pourquoi le Trésor public est bien plus puissant qu'on ne le pense, gérant des flux financiers de plusieurs milliers de milliards d'euros chaque année. 🔍 Pourquoi les impôts fonctionnent comme un outil de contrôle et de pouvoir au-delà de leur simple fonction de collecte de revenus. ⚖️ La dimension politique de la fiscalité qui définit ce que l'État peut voir et contrôler, soulevant des questions importantes sur la démocratie et l'équité. 🧠 Une réflexion sur la façon dont les systèmes fiscaux reflètent des choix politiques et peuvent soit renforcer soit affaiblir la justice économique dans une société.

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⏱️ Temps de lecture : 16 minutes

Hey Snowballers,

J'espère que vous allez bien et que vous passez un bon début de semaine.

La semaine dernière, vous n'avez certainement pas raté le vote autour de la taxe Zucman, qui n'est finalement pas passée. L'idée était de faire contribuer les plus riches via de nouveaux mécanismes.

Je n'entrerai pas dans les détails de cette mesure aujourd'hui, car je la trouve beaucoup trop politisée. Cependant, et c'est très lié, je souhaite m'intéresser au rôle et au fonctionnement d'une institution qu'on aime détester : le Trésor public.

Vous allez voir, c'est assez passionnant et, justement, très politique. On va tenter de rester le plus neutre possible.

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🎙️ Et je vous rappelle qu'il existe un podcast Snowball pour suivre les actus éco, finance, business et tech en moins de 10 minutes. Ici sur Spotify et là sur Apple Podcast.

Avant de commencer, parlons de notre partenaire du jour, par qui sont passés des dizaines de Snowballers depuis plusieurs années.

Déjà, que met-on dans les mots Trésor public ?

Le Trésor public est l'ensemble des moyens financiers dont dispose un État. Par métonymie, l'expression désigne également l'administration chargée de gérer ces ressources, dans la plupart des pays, un service de l'État rattaché au ministère des Finances.

Wikipédia

Aujourd'hui, nous allons surtout parler de l'administration. Mais avant tout, rembobinons un peu pour remonter au Moyen-Âge.

Le concept de Trésor public apparaît donc dès le Moyen-Âge sous le règne de Philippe Auguste (fin du XIIe siècle). Des officiers, tels que les baillis et sénéchaux, sont chargés d’administrer, de juger et de percevoir les revenus de la couronne, tout en contrôlant les collectes effectuées par les prévôts.

Au XIVe siècle, Philippe le Bel centralise le Trésor au Louvre à Paris, et Philippe V Le Long crée la Chambre des comptes en 1320 pour contrôler les opérations comptables.

Un peu plus tard, sous Henri IV (XVIe siècle), Sully pose les principes de la procédure budgétaire. Le Trésor public moderne prend véritablement forme sous Louis XIV, avec Colbert comme contrôleur général des finances. Et comme vous allez voir plus loin, ce n'est pas pour rien que le Trésor devient puissant sous Colbert. En effet, le colbertisme, une forme de mercantilisme, visait à renforcer la puissance de l'État par le développement de l'économie nationale. Et pour développer l'économie nationale, il faut quoi ? De l'argent. Beaucoup d'argent.

Fast forward, à la Révolution française, le Trésor royal devient Trésor public. Une Caisse de l’extraordinaire est créée pour gérer les fonds provenant de la vente des biens nationaux, puis dissoute en 1793. Napoléon créera ensuite la Banque de France et la Cour des comptes, tandis que le ministre du Trésor public, le comte Mollien, instaure les bases du système financier public moderne.

Sous la Restauration, le Trésor devient indépendant des intérêts privés, selon la conception française d’une administration séparée du reste de la société. Le décret du 31 mai 1862 établit la séparation des ordonnateurs et des comptables, renforçant le contrôle et la transparence des finances publiques.

Plus proches de nous, les deux guerres mondiales et la crise de 1929 font que l'État doit intervenir davantage pour sauver l'économie du pays. En 1940, la direction du Trésor, puis la direction générale du Trésor, joue donc un rôle clé dans la planification économique et le financement des investissements publics (notamment la distribution des crédits du plan Marshall).

Et aujourd'hui alors ?

Le Trésor public assure la gestion comptable, le recouvrement des recettes publiques (la collecte des impôts, pour faire simple), l’exécution des dépenses publiques, l’expertise financière auprès des collectivités territoriales et la gestion de l’épargne publique. La direction générale du Trésor, quant à elle, est une administration centrale du ministère de l’Économie et des Finances, chargée de l’analyse économique, du conseil au gouvernement, de la gestion de la dette et de la trésorerie de l’État, ainsi que de la régulation du financement de l’économie.

Selon le site officiel du gouvernement "Vie publique" :

Le Trésor public n'a pas de personnalité juridique distincte de l’État. Le terme de Trésor public désigne :

  • certains services de l’État : une administration centrale (la direction générale du Trésor, DGT) et les "services du Trésor", notamment le réseau des comptables du Trésor qui dépendent en fait de la Direction générale des finances publiques (DGFiP) ;
  • ou certaines fonctions assurées par ces services.

Payer des impôts ou des amendes au Trésor public, c’est les payer à l’État.

Et, toujours selon le site officiel "Vie publique", les fonctions du Trésor public sont les suivantes :

  • caissier : le Trésor gère le compte de l’État auprès de la Banque de France (principe de l’unité de caisse), recouvre la plupart des impôts et des recettes, paie les dépenses qui sont "ordonnancées" (prescrites) par les autres services de l’État (principe de séparation de l’ordonnateur et du comptable) et en contrôle la régularité ;
  • comptable : le Trésor établit la comptabilité de toutes les personnes morales de droit public (ex. : État, collectivités territoriales) ;
  • financier de l’État : le Trésor émet des emprunts ou en mobilise les dépôts effectués par les "correspondants du Trésor", c'est-à-dire de l'ensemble des personnes ou organismes publics et parapublics qui ont la faculté ou l’obligation de déposer des fonds auprès du Trésor public.

L'Agence France Trésor, qui est le gestionnaire opérationnel du compte de l'État, pilote les émissions de dette souveraine (donc les émissions d'obligations d'État) et gère le flux de trésorerie de l'État. Elle est placée sous l'autorité du directeur général du Trésor.

Bon, vous comprenez mieux d'où vient le Trésor public et quelles sont ses principales fonctions aujourd'hui.

Maintenant, nous allons voir pourquoi le Trésor public est un outil extrêmement important pour l'État et pourquoi il est aussi puissant (en France, mais aussi un peu partout dans le monde).

Avant de continuer, place à un partenaire que nous utilisons également chez Snowball...

Le Trésor public est au centre de l'architecture fiscale du gouvernement, comme nous le dit Anisha Steephen, qui a bossé pendant environ 4 ans à l'IRS (lnternal Revenue Service) et qui est une experte des politiques publiques. On peut dire que l'IRS est similaire au Trésor public, mais avec un seul focus sur l'administration fiscale pure, alors que le Trésor public a plus de fonctions, comme la comptabilité publique et la gestion financière de l'État.

Bref, ce n'est pas le sujet.

Chaque année, plusieurs centaines de milliards d’euros transitent par le Trésor public. Au minimum entre 300 et 800 milliards d’euros pour les besoins de financement, les recettes et dépenses budgétaires, sans compter les flux de trésorerie quotidiens qui dépassent largement ces montants si l’on tient compte des opérations de gestion courante (j'ai trouvé un chiffre qui mentionnait 23 milliards de dollars par jour il y a quelques années).

Les flux financiers annuels qui passent par le Trésor public sont donc de l’ordre de plusieurs milliers de milliards d’euros chaque année si l’on considère l’ensemble des opérations quotidiennes. C'est gigantesque.

Même si le Trésor public ne met pas en place les lois liées à la fiscalité, il est chargé de les faire appliquer. Son rôle est donc purement administratif et bureaucratique et c'est ça qui le rend si puissant, selon Anisha Steephen.

Tout d'abord, le Trésor public est un outil qui collecte de l'argent de la société. En 2024, le Trésor public français a collecté environ 312 milliards d’euros de recettes nettes du budget général de l’État, comprenant à la fois les recettes fiscales nettes et les recettes non fiscales.

Mais il est aussi en charge de redistribuer cet argent. Il a redistribué en 2024 plusieurs centaines de milliards d’euros, principalement sous forme de dépenses de l’État (plus de 440 milliards), de transferts aux collectivités (plus de 100 milliards) et de prestations sociales (portées par la Sécurité sociale).

Les responsabilités sociales du Trésor public sont donc importantes, même s'il ne s'agit que de la machinerie qui répond aux lois mises en place par les législateurs.

Contrôler le Trésor public (ou peu importe son nom qui change selon les pays), c'est un peu comme contrôler une partie du système d'exploitation d'un État qu'on pourrait comparer à un système sanguin complexe. Ce n'est pas pour rien que de nombreuses personnes politiques s'y intéressent à travers le monde, comme c'est le cas avec Trump et le DOGE (Department of Government Efficiency) en ce moment, par exemple.

En théorie, comme nous le rappelle Anisha, les impôts facilitent la fourniture de biens et de services publics (défense, infrastructures, éducation et autres filets de Sécurité sociale).

Comme vous le savez, les impôts se présentent sous de nombreuses formes, notamment l'impôt sur le revenu (sur les salaires et les plus-values), les taxes liées à la consommation, comme la TVA (taxe sur la valeur ajoutée), l'impôt foncier, l'impôt sur les sociétés, etc.

Les impôts peuvent être directs ou indirects, progressifs ou régressifs, visibles ou invisibles (comme la TVA, par exemple).

Les impôts définissent donc les frontières entre l'État et sa population, ainsi que les contours de la vie politique.

Ils déterminent qui doit quoi à qui et qui décide.

Les impôts, au-delà d'apporter des ressources à l'État et d'en redistribuer une partie, permettent de contrôler la population. "Contrôler" pas dans le sens "ordonner", mais dans le sens qui fait quoi, où, quand et comment.

C'est exactement ce que nous dit le théoricien politique James C. Scott.

👨‍🏫 L'Homo-domesticus de James C. Scott : Scott considère que l’impôt est un outil central de l’État qui est intimement lié à la sédentarisation et à l’agriculture céréalière. Pourquoi ? Il nous dit que la prévisibilité et la comptabilité des céréales ont permis aux premiers États de lever l’impôt de façon efficace, car elles sont aisément transportables, stockables et quantifiables, ce qui simplifie le travail du percepteur et rend l’administration fiscale possible. Scott met aussi en avant que l’État, pour assurer la collecte de l’impôt, a dû uniformiser, simplifier et rendre "lisible" la société, notamment via l’instauration de registres, de cadastres et de systèmes d’identification, afin d’identifier, de mesurer et de taxer la production et la population.

Cette façon de contrôler la population permet aussi de la gouverner plus efficacement.

Les systèmes fiscaux obligent les individus à se faire connaître de l'État : ils déclarent leurs revenus (ce que vous venez de faire récemment), leur patrimoine et leur éligibilité aux prestations sociales. Cela permet donc à l'État de cartographier la vie économique et de lui attribuer une signification politique.

Les impôts et les politiques fiscales créent les conditions dans lesquelles la main-d'œuvre est comptabilisée, la richesse est protégée (ou pas) et les vies sont surveillées, contrôlées ou carrément exclues.

Peu importent les courants idéologiques, les impôts sont toujours présents, même si leurs objectifs et étendues peuvent différer :

  • Adam Smith nous dit que, pour survivre, un État doit collecter des impôts efficacement et de façon équitable.
  • Marx nous dit que c'est sur le terrain des impôts que se jouent de nombreuses batailles des classes.
  • Keynes nous explique que les impôts peuvent être un outil de stabilisation macroéconomique.
  • Piketty nous dit que l'impôt progressif est nécessaire pour prévenir le retour d'oligarchies.
  • Et même les libertariens indiquent que les impôts sont nécessaires pour que l'État puisse fournir les biens publics absolument nécessaires, comme la défense.

Tout cela nous montre bien que les impôts sont bien plus qu'un système mathématique froid et 100 % logique.

Non, les impôts sont un instrument politique, ou une infrastructure politique plutôt, comme nous l'indique Anisha Steephen. C'est une forme d'exercice de pouvoir (au même titre que la justice).

La fiscalité définit donc ce que l'État peut voir et, vu qu'on ne peut contrôler que ce qu'on peut voir et mesurer, elle lui permet aussi de nous contrôler. Dans une démocratie, cette visibilité est censée être réciproque dans le sens où vous pouvez démocratiquement influencer comment ces derniers sont collectés et utilisés.

Les impôts sont OK, mais seulement s'ils restent démocratiques. Cela n'est plus OK s'ils sont gérés et utilisés par des institutions lointaines qui n'ont pas besoin de se justifier ou quoi que ce soit. Pourquoi ? Parce que cela peut créer des trucs un peu étranges pour le peuple.

Par exemple, le système de recettes fédérales des années 1790 aux US était principalement axé sur les droits de douane sur des produits comme le sucre, le sel et les textiles, des produits de base qui représentaient une grande partie de la consommation de la classe ouvrière, donc la plus fragile.

Et aujourd'hui, on pourrait dire que le système actuel, tel qu'il est fait et tel qu'il a évolué au fil des différents mandats, permet de contrôler davantage la partie de la population la moins aisée/la plus moyenne plutôt que la partie la plus aisée.

Pourquoi je dis ça ? En gagnant 2000 € par mois sans patrimoine et sans entreprise, vous ne pouvez pas forcément ouvrir une holding, faire circuler les flux entre différentes entreprises pour rester plus invisible au niveau de l'administration fiscale, passer par des paradis fiscaux, etc.

🚨 Je ne dis absolument pas que je suis pour ou contre ces mécanismes d'optimisation du tout ! Je cite juste des faits. En tant qu'entrepreneur, si je peux mettre en place une holding pour payer moins d'impôts afin de réinvestir davantage dans d'autres choses, alors je le ferai. Chaque règle d'imposition pourrait être le sujet d'un livre, donc ce n'est pas dans cette newsletter que nous répondrons à ces interrogations. Mais aujourd'hui, c'est un fait, les impôts permettent de contrôler davantage une partie de la population plutôt qu'une autre.

Nous avons à peine effleuré la partie émergée de l'iceberg.

Quand on me demande si je suis de gauche ou de droite, j'ai souvent du mal à répondre. "Les pires", vous devez vous dire ! 😅

Mais je préfère m'appuyer sur ce que je considère comme être du bon sens en mettant de côté la notion de gauche ou de droite. Est-ce que je pense qu'un système de santé universel est une bonne chose ? Oui. Est-ce que je trouve que l'éducation publique et gratuite est une bonne chose ? Oui. Est-ce que je trouve que c'est normal qu'une petite entreprise comme Snowball doive dépenser 100 euros de "budget entreprise", pour que les salariés en perçoivent moins de 50 au même titre qu'un LVMH ? Pas vraiment. 😅

Bref, vous voyez que c'est quand même des questions complexes et le but de cette édition n'est pas du tout de vous orienter d'un côté ou de l'autre de l'échiquier politique, mais de vous montrer en quoi le système des impôts peut être un outil pour exercer une forme de pouvoir politique assez insidieuse.

Je terminerai par les mots d'Anisha Steephen :

[...] les débats sur la politique fiscale ne sont jamais qu'une question d'argent et [...] davantage de personnes devraient y prêter attention. Il s'agit de visibilité, de légitimité et de pouvoir - de ceux que le gouvernement choisit de voir, en qui il a confiance et, en fin de compte, qui est-ce qu'il choisit de protéger ou de punir. L'IRS, dans son rôle d'administration de la politique fiscale, n'est pas et n'a jamais été une entité bureaucratique neutre. Il est l'expression institutionnelle de l'économie politique - un mécanisme qui impose de justifier sa présence dans l'ordre fiscal. Ses échecs reflètent des choix politiques, mais il en va de même pour ses succès. Lorsqu'il est aligné sur des objectifs démocratiques, l'IRS peut fonctionner comme un pilier de la justice économique, en rendant visible l'invisible, en fournissant des avantages directement aux citoyens et en veillant à ce que ceux qui tirent le plus de la société contribuent à leur juste part.

Voilà, c'est tout pour moi aujourd'hui !

Comme toujours, n'hésitez pas à répondre à ce mail si vous avez des remarques ou des questions. Je réponds toujours (et si ce n'est pas le cas, renvoyez-moi un mail, c'est que je l'ai raté).

Et si vous souhaitez aller plus loin, n'hésitez pas à jeter un œil à Snowball Insights. On analyse une action par semaine, on décrypte un sujet économique qui peut avoir un impact sur votre portefeuille et on décortique une tendance qui peut intéresser les investisseuses et investisseurs.

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Excellente soirée à toutes et à tous, et à très vite.

Yoann ❤️

P.S : J'ai un peu exagéré pour le titre de cette édition... Le service des impôts est apprécié :